Histoire du cinéma taïwanais
Une présentation du cinéma insulaire
des origines à la seconde vague du nouveau cinéma
Des débuts au nouveau cinéma (des années 1900 aux années 1980)
Le cinéma est introduit sur l'île de Taiwan en 1901. Durant les 20 premières années, seuls les Japonais sont autorisés à fabriquer des documentaires et à faire des films (Taiwan est une colonie japonaise de 1895 à 1945). Afin de ne pas heurter les structures coloniales, les acteurs taïwanais son exclus de toute production cinématographique jusqu'en 1922. C'est cette année-là qu'apparaissent les premiers acteurs taïwanais dans un film intitulé "the Eyes of Buddha". Mais le premier véritable film taïwanais, avec des acteurs et des financements locaux est le film intitulé "Whose Fault Is It ?" qui sort en 1925. A partir de cette époque, et progressivement, l'industrie cinématographique intègre les acteurs et les financements locaux. Le tout étant bien évidemment toujours sous contrôle étroit des Japonais.
L'industrie est interrompue en 1937 par la guerre sino-japonaise, et pratiquement rien n'est produit jusqu'à ce que le gouvernement nationaliste ne reprenne le contrôle de l'île en 1945. Avec la fin de la guerre civile en 1949, les réalisateurs de Shanghai, sympathisants des nationalistes, suivent Jiang Jieshi (Tchiang Kai-Chek) dans sa retraite à Taiwan. Une fois l'économie de l'île stabilisée, dans les années 50, ces réalisateurs exilés forment le cœur de la nouvelle communauté cinématographique formosane. Comme les autres industries de l'île, l'industrie du cinéma se développe lentement durant toute cette période avec l'aide des subventions du gouvernement. Les films en mandarin et les films en taïwanais à petit budget sont le gros de la production cinématographique nationale. Mais la production de films en taïwanais décline déjà, et cela pour deux raisons principales:
1. Le gouvernement tente d'unifier le pays en déclarant le chinois mandarin langage officiel.
2. Les films en taïwanais à petit budget sont littéralement écrasés par les films en mandarins subventionnés par le gouvernement.
Dans les années 60, l'île se modernise rapidement. Le développement de l'économie et de l'enseignement ainsi que l'industrialisation sont les grands objectifs du gouvernement. En 1963 le CMPC (Central Motion Picture Corporation) du gouvernement "met en place" les mélodrames de "Réalisme sain". ce genre propose une attitude positive envers les valeurs morales traditionnelles et reflète une tentative de réconciliation de l'ambivalence inhérente entre la reconstruction socio-économique et les valeurs morales / éthiques de la société agraire traditionnelle. Se multiplient alors les films d'époque et de cape et d 'épée. Apparaissent également des mélodrames romantiques, tirés en général des histoires de Qong Yao (auteur féminin de "romans à l'eau de roses " à succès, puis de scénarios).
Dans les années 70, le réalisme sain" est remplacé par les mélodrames romantiques. La volonté de réconciliation entre modernité et tradition dans un contexte de changement socio-économique rapide est toujours présent dans les films mélodramatiques. Mais cela se manifeste principalement désormais par des conflits individuels (de classe sociale…) avec les valeurs morales traditionnelles. A la fin des années 70, un sous-genre, appelé " réalisme social " émerge, apportant sexe, violence et culture des gangs. L'étalage d'une violence explicite, la mystification de la masculinité et la description misogyne de la sexualité féminine apparaît alors pour répondre à la longue répression de la sexualité et du physique dans le cinéma par la censure gouvernementale. Mais ce genre décline à cause de son non renouvellement des structures narratives et du banal spectacle du sexe et de la violence.
L'émergence du "Nouveau Cinéma":
A la fin des années 70, l'industrie du cinéma est confrontée à plusieurs problèmes. Le premier étant le rejet du public. Bien que la société taïwanaise soit passée par de fantastiques changements, au cours des années 60 et 70, les réalisateurs vétérans continuent de tourner des films d'évasion. Le public se fatigue peu à peu de ce genre et de ses clichés. Un autre défi à l'industrie du film vient de la popularité des cassettes vidéo. La loi sur les copyright n'étant effective que depuis très récemment à Taiwan, au début des années 80, c'est un loisir populaire très peu onéreux. Enfin, le dernier défi vient du fait des très bonnes campagnes de promotion des films en provenance de Hongkong. Le cinéma de la colonie britannique, avec ses innovations dues au mouvement de "la Nouvelle Vague" honkongaise et au marché florissant de la production, de la distribution et de la promotion, envahie littéralement Taiwan. Au début des années 80, cette industrie remplace les films locaux et devient le principal producteur cinématographique.
Ces pressions financières forcent l'industrie du cinéma taïwanais à chercher de nouveaux moyens pour faire face à la concurrence de Hongkong. La première décision est prise par le CMPC avec l'aide de jeunes réalisateurs. Sous l'impulsion du CMPC, un film intitulé "In Our Time" et composé de quatre histoires (écrites et réalisées par quatre jeunes réalisateurs dont Yang Dechang) est produit en 1982. Il rompt avec l'ancienne école de réalisateurs. Le film est un passage en revue des changements sociaux à Taiwan au cours des trois dernières décennies. Contrairement aux habitudes taïwanaises, il n'y a que des acteurs semi-professionnels ou non professionnels, au lieu de comédiens très connus. Par ailleurs, le film n'a pas de structure narrative traditionnelle et n'entre dans aucune catégorie. C'est à cause de ces innovations que, In Our Time est généralement considéré comme le point de départ du "Nouveau Cinéma".
Mais il faut attendre 1983 pour que d'autre innovations soient apportées par d'autres films et que le mouvement du "nouveau cinéma" existe concrètement. C'est chose faite avec "Growing Up" réalisé par Chen Kunhou et "The Sandwich Man" (Film collectif) réalisé par trois jeunes metteurs en scène dont hou Xioaxian. The Sandwich Man est composé de trois histoires distinctes qui peuvent être vues comme la marque distinctive du Nouveau Cinéma.
Photo tirée du film "Mahjong" de Yang Dechang
Le film brosse le portrait de Formose durant la période de la guerre froide, quand le pays développait son économie grâce à l'aide des États Unis. L'accent y est particulièrement mis sur la misère des travailleurs et leur ignorance qui résulte de leur pauvreté et de leurs privations, chaque partie du film étant dans un style différent. Grâce au succès commercial et aux salutations des critiques, les réalisateurs de Growing Up et de The Sandwich Man peuvent se lancer dans de nouvelles innovations et expérimentations. C'est a partir de ce moment là que le Nouveau Cinéma peut s'exprimer pleinement.
Les auteurs
De 1983 à 1989, environ dix jeunes réalisateurs (exclusivement des hommes) participent au mouvement. Chacun d'entre eux y développe son propre style et apporte sa contribution au Nouveau Cinéma. De fait, deux réalisateurs s'imposent comme les chefs de file de cette nouvelle génération cinématographique.
Le premier est hou Xiaoxian (ou hou Hsiao-hsien). Ses films hautement autobiographiques (comme Son's Big Doll, le premier épisode de The Sandwich Man en 1983 ou encore A Time to Live and A Time to Die en 1985) font le portrait de la vie rurale à Taiwan en utilisant un style proche du documentaire et une narration souvent non linéaire. Hou Hisiao-Hsien est considéré par les critiques comme le réalisateur le plus représentatif du cinéma taïwanais. Ses victoires dans les festivals internationaux (et notamment un Lion d'Or au festival de Venise pour City of Sadness) représente le triomphe et la justification du Nouveau Cinéma taïwanais.
L'autre leader de ce Nouveau Cinéma est Yang Dechang (Edward Yang). Considéré comme l'égal, cinématographiquement parlant, de hou Hsiao Hsien (hou Xiaoxian). Il se démarque pourtant par son style qui lui est propre et les thèmes qu'il aborde. Autant hou porte son attention sur les hommes, l'adolescence et la vie rurale, autant Yang filme les femmes, l'émergence de la classe moyenne et la société urbaine (particulièrement à Taipeh). La société urbaine est d'ailleurs le thème récurant des films de Yang Dechang : il met l'accent sur l'aliénation de la vie urbaine, l'occidentalisation de Taipeh, l'influence japonaise et les changements sociaux.
Forme et substance
Les réalisateurs du nouveau cinéma ont grandi après la seconde guerre mondiale, pendant la période de transition de la société agraire à la société industrialisée et capitaliste. Leur préoccupation est dont tout naturellement d'examiner les problèmes que rencontrent les personnes dans une société en pleine modernisation.
Dans un souci de réalisme les films produits sont tournés en décors réel et les acteurs sont non professionnels ou bien acteurs sans grande renommée. Les cinéastes, clairement influencés par le néoréalisme italien, adoptent, dans leur grande majorité, un style très proche des documentaires.
Par ailleurs ils puisent abondamment dans leurs expériences personnelles pour construire leurs films. Dans le nouveau cinéma, on retrouve souvent des thèmes qui fonctionnent par paires : monde rural (retardé et paisible) vs. Monde urbain (moderne et turbulent) ; classe paysanne ou laborieuse (innocente) vs. Classe moyenne (sophistiquée et manipulatrice) ; passé (douce nostalgie) vs. Présent (dure réalité de la vie).
Photo du film "City of sadness"
En plus de ces thèmes, le nouveau cinéma est plus que jamais focalisé sur la vie quotidienne des Taïwanais, particulièrement respectueux de la culture et des langues des Taïwanais de souche (arrivés avant les années 40 à Formose). De fait, en plus du chinois mandarin, langue officielle à Taiwan, d'autres langages majeurs de l'île, tel le taïwanais et le hakka sont inclus dans les films. A cause des luttes entre communistes et nationalistes durant 40 années, à compté de la seconde guerre mondiale, le Parti Nationaliste insiste sur le fait que le gouvernement taïwanais représente la vraie Chine et avant tout la vraie culture chinoise. De plus, quand l'armée nationaliste arriva la première fois à Taiwan en 1945, un conflit sanglant éclata entre la population taïwanaise et celle de chine continentale. L'événement est connu sous le nom de "incident du 28 février" (228). Il en a résulté que le gouvernement de Taiwan privilégie la culture continentale, une culture vieille de près de 4000 ans qui a pris naissance dans la vallée du fleuve jaune, et que tout le monde à Taiwan se devait d'accepter. Les langues, telles que le taïwanais ou le hakka furent même officiellement supprimées.
Le nouveau cinéma répond aussi à une attente du public qui a alors un regain de conscience de son appartenance à une culture locale. Ainsi les réalisateurs utilisent des acteurs parlant le dialecte taïwanais pour faire un portrait réaliste de la vie ordinaire.
Hou Xiaoxian est peut-être l'auteur le plus représentatif de cette tendance à la pluralité des langages. Il mélange en effet souvent chinois mandarin, taïwanais et hakka (A Time to Live and A Time to die et City of Sadness en sont de bons exemples), et s'oppose ainsi au "monolinguisme gouvernemental". Yang Dechang s'est également largement penché sur la question du langage. Cela est particulièrement vrai pour deux de ses films: Mahjong et Yi Yi.
Une autre orientation thématique du Nouveau Cinéma taïwanais est l'usage de références directes aux tabous sociaux et politiques. Trois films réalisés en 1989 (City of Sadness, Banana Paradise, et Gangs of Three) touchent à la controverse politique qui est considérée comme très sensible et même interdire dans le débat public avant 1987 (date de la levée de la loi martiale). Une autre spécificité du Nouveau Cinéma est de parvenir à concilier cinéma commercial et cinéma "artistique". Si Yang Dechang et hou Xiaoxian sont considérés comme les chefs de file du Nouveau Cinéma, ils n'en sont pas les uniques représentants. Chaque réalisateur, bien que partageant de grandes lignes communes apporte sa note personnelle. Wan Ren, malgré une approche très moderne insiste sur le mélodramatique dans ses œuvres. Dans son premier film : The Taste of Apples dans The Sandwich Man, il transmet le sentiment d'amertume de la mentalité post coloniale, non pas parla fragmentation narrative mais par l'utilisation de moyens conventionnels pour la création drames ironiques et d'effets comiques.
La deuxième vague
Une seconde vague du nouveau cinéma Taïwanais voit le jour. Les chefs de file en sont Ang Lee (Li An), Tsai Ming Liang (Cai Mingliang), entraînant dans leur sillage Stan Yin, Yee Chih Yen, Wang Shaudi ou encore Lin Chengsheng. C'est cette génération de réalisateurs qui achève le processus de reconnaissance internationale du cinéma taïwanais, déjà bien commencé par Yang Dechang et hou Xiaoxian, au moyen de leurs explorations néoréalistes de l'identité taïwanaise. Pour cette deuxième génération, dans la société taïwanaise moderne il n'y a rien d'autre à faire que " manger, chier, dormir et baiser ". La seconde vague du nouveau cinéma taïwanais est donc assez pessimiste vis à vis de la société taïwanaise, prise dans un étau, entre Asie et Occident. Pessimiste également quand au futur de l'île, entre volonté d'indépendance et menaces à répétition du continent.
Mais en ce début de 21ème siècle, il faut bien reconnaître que le nouveau cinéma ne rénove plus l'industrie, ni ne produit de films en quantité suffisante pour concurrencer la production cinématographique de Hongkong. Le marché taïwanais continue d'être dominée par la production de films à grand spectacle de Hongkong. La plupart des réalisateurs ayant participé au Nouveau Cinéma ont pratiquement cessé de faire des films ou bien ont été recruté par les productions T.V.. en revanche Yang Dechang et hou Xiaoxian demeurent les cinéastes taïwanais les plus célèbres sur la scène internationale.
Malgré tout, chaque année des films taïwanais voient le jour, et chaque année l'on peut constater que ce cinéma a des choses à nous raconter, des choses à nous apporter. Le cinéma taïwanais, même s'il est rare est loin de mourir.