La guerre franco-chinoise

et le blocus de Formose (1884-1885)

L'amiral Courbet (1827-1885)

 

Pour retrouver les causes de la guerre franco-chinoise de 1884-1885 et de la mise en place du blocus du nord de l’île de Formose, il faut en fait remonter au 6 juin 1884. A cette date est signé le traité de Hué entre la République Française et le Royaume d’Annam , qui met un terme aux troubles que connait alors l’Indochine . Le protectorat français est désormais en vigueur  dans cette région.

Or, le 23 et le 24 juin 1884, des troupes chinoises pénètrent en Indochine et attaquent l’armée française à Bac-Lé, ce qui est considéré comme une violation du traité de Tianjin de juin 1858 (cette affaire est plus connue en France sous le nom de "guet-apens de Bac-Lé").
Suite à cet incident, le 12 juillet, le gouvernement français fait parvenir au gouvernement chinois un ultimatum exigeant l’évacuation du Tonkin par les troupes impériales ainsi que le paiement d’une indemnité s’élevant à 250 millions de francs.

"Autrement, le gouvernement français serait dans la nécessité de s’assurer directement les garanties et les réparations qui lui étaient dues".

Avant l’envoit de l’ultimatum, l’amiral Courbet (1827-1885), qui avait été nommé commandant en chef des deux divisions réunies de la Chine et du Tonkin avait reçu l’ordre de se rendre à Shanghaï, dans le but de préparer quelque opération militaire à l’encontre de la Chine. Mais, malgré l’avis contraire du diplomate envoyé auprès du gouvernement mandchou, monsieur Patenôtre, la France opte pour la négociation avec l’Empire du milieu.

"C’est ainsi qu’encourageant le gouvernement chinois à la résistance et lui donnant le temps de se préparer à la lutte, elle [la France] abandonna sa demande d’indemnité pour ne plus exiger qu’un dédommagement pour les familles des victimes de Bac-Lé et le maintien sur pied de guerre de nos forces de terre et de mer en Extrême-Orient, puis lui accorda des répits à l’échéance de l’ultimatum du 12 juillet."
 

L’amiral Courbet avait établi un plan précis qui consistait à attaquer les forces chinoises sur plusieurs points (entre autres: Fuzhou et port Arthur qui étaient les deux principaux arsenaux de la Chine d’alors), le plus rapidement possible.
 Il se rendit alors à Fuzhou à l’embouchure de la rivière Min afin de se préparer à attaquer dès l’expiration de l’ultimatum. Cet ultimatum fut prorogé d’abord jusqu’au 31 juillet, puis au 2 août (et même dans les faits jusqu’au 22 août 1884), ce qui eut pour effet de permettre à la Chine de se préparer au conflit.
 

 Du début de la guerre franco-chinoise au blocus de Formose
C’est le 2 août 1884 que le gouvernement français donne l’ordre d’agir, mais sans suivre les plans de l’amiral Courbet. En effet, il ajourne l’attaque de Fuzhou et impose Formose et les charbonnages de Jilong comme seul objectif.

"Le 2 août, l’escadre apprit enfin que la politique des gages prévalait à Paris et que, comme gage, on avait choisi le nord de Formose et les mines de Kelung  [Jilong]. Le 3, en effet, le contre-amiral Lespès recevait l’ordre d’apareiller à Matsou, puis avec le "la Galissonière", cuirassé de croisière, et la cannonière "le Lutin", faisait route sur Kelung que surveillait déjà le croiseur "Villard"."

Ainsi l’amiral Lespès a pour objectif de neutraliser les forces chinoises qui protègent le port de Jilong, à l’abri derrière les fortifications érigées sur les collines alentour, et de s’emparer des houillères qui se trouvent plus avant dans les terres.
Mais les troupes françaises ne parviendront, pour ainsi dire, jamais à débarquer sur l’île et surtout à s’y maintenir du fait de la résistance militaire chinoise d’une part, et du manque d’effectif et de moyens d’autre part. D’ores et déjà, il semble seulement possible de mener le combat depuis la mer.

"La première partie de sa tâche était seule possible. Le 5 août, le "la Galissonnière", "le Villars" et "le Lutin", disposés avec autant d’habileté que de hardiesse par le contre-amiral, détruisirent, malgré leur résistance […], les trois forts chinois dont l’un, blindé de plaques d’acier de vingt centimètres, battait en plein le goulet fermant la baie où nous avions dû nous engager pour atteindre l’ennemi. Les compagnies de débarquement furent alors mises à terre où elles s’emparèrent, après un brillant combat, des hauteurs que défendait l’infanterie chinoise, sur la route des charbonnages. Mais ceux-ci sont à six kilomètres au moins de la rade, et après avoir couché sur les positions conquises, nos marins se virent forcés de se replier sur leurs navires: Ils étaient deux cent et les Chinois revenus à la charge étaient trois milles!"

Pendant ce temps, l’amiral Courbet continue de préparer son opération contre l’arsenal de Fuzhou et monsieur Patenôtre poursuit les négociations avec la Chine à Shanghaï.
Et le 22 août, l’ordre d’agir est finalement donné à l’amiral Courbet. Mais la situation est désormais différente et l’effet de surprise n’est évidemment plus de mise. L’amiral dispose alors d’un aviso, de trois croiseurs, trois canonnières, deux torpilleurs, une petite esquadrille formée de quatre chaloupes et d’un petit vapeur de commerce. Les forces chinoises sont quant à elles composées de onze bâtiments de guerre, douze grandes jonques de guerre et sept canots torpilleurs à vapeur.
 C’est dans ces conditions que le 23 août 1884 le combat s’engage. Il trouve son issue finale le 29 août. L’escadre française parvient à vaincre la flotte chinoise. L’épisode se fait connaitre sous le nom de "descente de la rivière Min". Toute la France salut alors unanimement la "performance" de l’amiral Courbet surnommé "le terrible Coupa".

"Ce qui frappe […], c’est l’énormité du travail accompli par les 1 800 marins de notre escadre, la somme de perilleuses fatigues supportées par cette poignée d’hommes dans un aussi court espace de temps. La lutte soutenue réunissait tous les genres d’opérations que peut entreprendre une réunion de bâtiments de guerre […]: rien n’y manque."

Aussitôt après la bataille, l’amiral Courbet reçoit un télégramme lui apportant, avec les enthousiastes félicitations de la Nation, l’ordre de poursuivre ses opérations, mais cette fois-ci à Formose.
Et le 2 septembre 1884, l’amiral, commandant des deux divisions réunies par decret sous le nom d’ "Escadre d’Extrême-Orient", arrive devant le port de Jilong. Là, l’escadre se renforce d’hommes d’infanterie et d’artillerie de marine. Mais malgré cet apport, les forces françaises semblent toujours souffrir cruellement d’un manque d’effectif, ce qui contrecarre quelque peu ses plans.

"Le 2 octobre, après un combat […] nous occupions le morne St-Clément et les crêtes de l’ouest, ce qui nous fit maîtres de la ville. Par malheur, une fois de plus, on ne pouvait avec aussi peu de monde enlever les autres lignes de hauteurs et atteindre les charbonnages. Depuis trois mois, les Chinois […] avaient jeté une armée dans l’île."

En ce qui concerne l’amiral Lespès, après les opérations menées à Jilong, il se trouve le 1er octobre 1884 à Danshui. Les ordres sont toujours les mêmes: tenter de s’emparer des positions ennemies.

"Le contre amiral Lespès, ainsi qu’il le fit à Kelung au mois d’août, mena remarquablement bien la seule partie de l’opération qui fût possible. Avec la canonnière Vipère, les cuirassiés de croisière Triomphante et La Galissonnière, et le croiseur d’Estaing, il mouilla devant Tamsui  le 1er octobre, et , le 2, réduisit non sans peine au silence les forts Blanc et Rouge dont les Krupps [Cannons de fabrication allemande] avaient ouvert le feu sur nous. Restait à démolir le barrage de la rivière et anéantir les torpilles défendant la passe. Le 8 octobre fortes de 600 hommes, les compagnies débarquèrent […]. L’infanterie chinoise, invisible, bien à l’abri, occupait les environs du fort […]. Elle était si nombreuse qu’en vain nos obus tentèrent de l’arrêter […]. Comme à Kelung encore, au mois d’août, ils se trouvaient 600 contre des milliers d’ennemis ayant l’avantage de la position. Il fallut battre en retraite, se réembarquer par une mer grosse, abandonner dix sept morts […]. Nous avions 49 blessés. Nous dûmes renoncer, du reste, faute de monde, à une revanche et nous borner à bloquer le port et la rivière de Tamsui  jusqu’à la paix."
 

De la déclaration du blocus de Formose à la paix
Le 20 octobre 1884, un nouveau cap est franchi dans la guerre franco-chinoise. En effet, l’amiral Courbet, ayant reçu au préalable l’autorisation nécéssaire, proclame le blocus de l’île de Formose, blocus qui se veut pacifique, la guerre n’étant toujours pas officiellement déclarée. Ce blocus a plus pour vocation de saisir les bâtiments de commerce chinois que d’empêcher les les troupes chinoises de recevoir de la contrebande de guerre.
Mais avant le 20 octobre, la "China Merchants Company" (société de transports chinoise) vend fictivement ses bâteaux à vapeur à une société américaine (les bâtiments des puissances neutres ne subissant pas les conséquences du blocus). Ainsi le blocus ne peut s’exercer que contre des jonques devant les ports de Jilong, Danshui et Taïwan.

"Au bout de quatre mois, le blocus qui n’avait servi jusque là qu’à des prises insignifiantes, dut diminuer encore de sévérité, l’amiral s’étant vu forcé de concentrer un peu ses navires éparpillés en vue d’une attaque bruyamment annoncée de la flotte chinoise […]. Nos croiseurs n’arrivaient pas  à empêcher tous les débarquements sur cette vaste étendue des côtes, ceux des neutres surtout."

Ainsi, les forces françaises sont en sous-nombre, ce qui a pour effet de rendre difficile l’application effective du blocus. A ce problème, s’en greffe un autre, qui concerne les autres puissances occidentales présentes en mer de Chine et dans le détroit de Formose. En effet, les puissances dites neutres n’appuient pas l’action menée par la France, du moins ne mettent-t-elles pas tout en oeuvre pour lui faciliter la tâche, bien au contraire.
Preuve en est faite le 22 janvier 1885. A cette date, les autorités coloniales anglaises établies dans les ports de Hong-Kong et Singapore, refusent de réparer les navires français et de les ravitaller en combustible, cela en vertu du "Foreign Enlistment Act" . Pour "riposter", l’amiral Courbet se voit octroyer le droit, par le gouvernement français, de visiter les bâtiments neutres et de les arrêter s’ils sont effectivement chargés de troupes ou de munitions.
En parallèle à cela, Courbet insiste vivement auprès des autorités afin de pouvoir établir le blocus du riz, dans le but de priver la Chine du nord de cette denrée. Ceci est selon lui la clé pour une victoire rapide et éclatante sur l’Empire du milieu.

A la fin du mois de  janvier 1885, 2 000 hommes sont envoyés en renfort sur l’île de Formose, sous le commandement du colonel Duchesne. Et le 4 mars 1885, toujours sous le commandement de Duchesne, un petit corps expéditionnaire parvient, après quatre jours de combat, à atteindre les mines de charbon. Mais , là encore, malgrès l’envoi de renforts, les Français ne sont toujours pas assez nombreux pour atteindre les buts qu’ils se sont fixés.

"Nous étions enfin maîtres des mines de charbon, ou plutôt nous en commandions l’accès. Seulement à peine étions-nous assez nombreux pour garder les point conquis. Le manque de monde nous empêchait de poursuivre la campagne et malgré nos succès, malgré le sang  répandu, l’occupation définitive ne se réalisait pas et l’efficacité du gage demeurait hypothétique."

Ce n’est qu’en février 1885 que le gouvernement français décide d’aller plus avant en déclarant - comme l’amiral Courbet l’avait préconisé bien avant - le riz contrebande de guerre, à l’exception de Canton et des autres ports du sud de la Chine (seule l’Angleterre s’oppose à cela parmi les nations occidentales). Le blocus du riz est établi en parallèle avec le blocus du nord de l’île de Formose qui se poursuivra jusqu’à la paix.

Une dernière opération française est entreprise à l’encontre des îles Pescadores ("Penghu"). En effet ces îles sont prises par les troupes françaises sous le commandemant de l’amiral Courbet(14) : opérations menées entre le 29 et le 31 mars 1885.

Puis arrive le temps des négociations. Ainsi, l’armistice est établi le 13 avril 1885. Le blocus de Formose est alors levé, mais le blocus du riz continue jusqu’à la paix conclue le 9 juin 1885 entre la France et la Chine. Le gouvernement français restitue alors officiellement  Formose et les îles Pescadores.(Voir les le traité de paix Franco-Chinois du 9 juin 1885)
 
 

En ce qui concerne ce rapide historique de la guerre franco-chinoise et du blocus de Formose, on peut faire plusieurs constats.
Tout d’abord, contrairement aux idées reçues, le blocus ne s’effectue pas contre toute l’île de Formose, mais simplement contre le nord de celle-ci, et en fait il s’agit surtout  du blocus des ports de Jilong et Danshui. De plus, si le blocus effectif du nord de l’île semble important pour le gouvernement français, la prise des mines de charbon est un objectif non moins important. En effet, le contrôle de ces mines représente une certaine indépendance pour le ravitaillement des navires et est une source de revenus. Ainsi le blocus de Formose présente un double intérêt: militaire et économique.
Enfin, tout au long de la guerre franco-chinoise, le problème andémique du côté français est le manque d’effectif et la lenteur des décisions prises par les autorités.
En conclusion on peut donc dire que si le blocus a atteint son objectif, à savoir que la Chine laisse la France seule maître en Indochine, les militaires présents sur place ont toutefois un sentiment de manque d’efficacité et de "victoire" toute relative.

Il est par ailleurs à noter les "répercussions" de la guerre franco-chinoise et du blocus de Formose de nos jours. En effet, tous les ans à Jilong, la "Foundation of Ocean Taiwan" commémore le blocus du port de Jilong par les troupes militaires françaises et surtout ce qu’ils nomment la victoire de l’armée chinoise sur celles-ci.
La commémoration consiste en un pélerinage à caractère historique au fort chinois, chargé dans les années 1884-1885 de défendre le port et la ville de toute invasion maritime.