Tam-shui

où l'identité taiwanaise s'affiche

au grand jour

La ville de Tamshui, par ses récentes initiatives, peut être vue comme un véritable microcosme de la recherche identitaire actuelle des Taiwanais : un passé historique propre à l'histoire de Taiwan, une mise en valeur de l'art local, sans renier pour autant les traditions chinoises. Une touche architecturale et artistique mi-européenne mi-asiatique, le tout saupoudré de langue taiwanaise : Tamshui arrive !

 

La ville de Tamshui veut prendre son identité en main. C'est un fait indéniable, lorsqu'on regarde le développement qui s'est opéré sur cette ville du Nord de Taiwan, située juste à l'embouchure du fleuve Tamshui.

D'abord, le métro, il y a quelques années : la construction de cette ligne a permis de rapprocher les distances entre ce port autrefois courtisé par les explorateurs et colons européens, et la capitale, Taipei. Les vingt kilomètres qui séparent Tamshui du centre ville de Taipei ne représentent aujourd'hui qu'un pas, que les habitants de la capitale franchissent allègrement le week end pour passer une journée de repos au bord de l'eau. Les habitants de Tamshui sont unanimes sur ce point : leur ville est devenu le point touristique des citadins du jour au lendemain, avec l'arrivée du métro.

 

 

Grand port de pêche, point de départ pour les plages de sable de la côte Nord, la ville est également un site historique important, puisque c'est là qu'ont débarqué les premiers européens, les Espagnols au 17e siècle. La trace de leur courte présence, le Fort Santo Domingo, a été très rapidement éclipsée par les Hollandais, qui s'en sont rendu maîtres peu de temps après ; du coup, le bâtiment devenu symbole de Tamshui s'appelle en chinois "Hong maocheng", soit le château des cheveux roux, attestant sans doute davantage de la présence hollandaise qu'espagnole. Les Britanniques ont ensuite occupé l'espace, et les rues de la haute ville s'articulent autour de bâtisses anglaises, d'églises orthodoxes et d'universités dans le style victorien. C'est à Tamshui que l'on trouve également un fort, Huwei, construit selon l'architecture Vauban. Bref, de nombreux témoignages de l'époque de la colonisation.

Cette richesse historique, plus ancienne que Taipei devenue capitale beaucoup plus tard, peut attirer les touristes. Mais aussi et surtout, les promenades en bateau, et le petit port récemment mis en valeur : bref, la proximité de l'eau, qui fait de la ville un lieu de villégiature d'un jour.
Dans les deux dernières années effectivement, la berge du fleuve a fait l'objet d'une transformation complète, et une promenade a été aménagée le long de la Tamshui et des commerces réputés de la ville : la soupe aux boulettes de poisson, mais aussi une sorte de chips de poissons, y sont célèbres. Là se trouvent également des maisons où le savoir-faire culinaire est réputé pour son ancienneté. Arguments qui ne peuvent laisser le Taiwanais, amateur de bons petits plats, indifférent. Les habitants de Tamshui le savent, et renchérissent pour dynamiser leur ville.

 

 

Prenez par exemple l'inauguration de trois sculptures qui a eu lieu samedi 23 novembre 2002. Afin d'ajouter la touche artistique qui manquait à cet aménagement des berges, l'association régionale pour le développement culturel, épaulée par les associations de commerçants, a commandité trois oeuvres auprès d'artistes tw et japonais. Et les trois sculptures, dévoilées au public il y a deux jours, comportent toutes un lien avec la ville. L'accueil de la naissance du jour, de Lai Zhe-xiang, représente un corps aux lignes fines et lisses, dont l'angle formé par le torse et les jambes dessine un grand V : c'est un corps maternel qui est représenté ici, tout comme les habitants de Tamshui considèrent leur ville comme le port commercial ayant donné naissance à l'essor économique du Nord de Taiwan ; la forme V immédiatement visible de cette sculpture de bronze rouge de 3 tonnes symbolise l'ascension du soleil, l'espoir et l'activité. L'artiste, qui a réalisé des études d'art à Madrid, insiste donc sur l'identité de la ville. C'est le cas également du Japonais Vehara Kazuaki, qui a conçu une sculpture en marbre, non moins imposante, trônant le long de la berge à quelques centaines de mètres de la première : La barque du soir reprend la forme de ces barques, familières aux habitants, et dont le dessin vert et rouge bordé de blanc est devenu un autre emblème de Tamshui. Quant à la dernière, Fantaisie sur poisson, créée par le Taiwanais Yu Lian-chun, elle tourne autour de cet animal marin, qui reste l'un des éléments par lesquels la ville portuaire se définit. En bronze vert, la sculpture peut rappeler un yakitori, poisson sur brochette dont raffolent les Japonais.
Les trois oeuvres ornent désormais le bord du fleuve, dans un esprit qui se veut proche des bords de la Seine et de la Tamise, comme l'a souligné l'un des acteurs actif et sponsor du projet, Jean (Li Zhi-ren), francophone presque autodidacte par la chanson française. On a même fait appel à des artistes dessinateurs, pour animer les bords de l'eau par les portraits qu'ils pourront faire des passants, scène habituellement plutôt caractéristique de villes européennes. La culture chinoise est loin d'être oubliée pour autant : des feux d'artifices et un convoi de tambours et gongs accompagnaient l'inauguration le long de la berge en ce samedi de fin novembre. Et il suffit de se pencher sur les conditions du financement de ces oeuvres pour observer un trait particulier des sociétés chinoises : Monsieur Jean, comme il se prénomme lui-même sur son pas-de-porte, confectionne des gâteaux traditionnels dans une boutique vieille de trois générations, et l'une des plus anciennes à Tamshui. C'est l'un des trois mécènes de ce tout dernier projet artistique, qui a tout de même coûté la bagatelle de 900 000 NTD (30 000 €) pour chacune des sculptures ! Le directeur d'une banque locale a également apporté sa contribution, tandis que la troisième sculpture n'a pas encore trouvé de financement ; mais Monsieur Jean ne s'inquiète pas outre mesure : il indique que, pour sauver la face et ne pas rester en reste, son concurrent direct à Tamshui, autre fabricant de gâteaux traditionnels, doit très prochainement se manifester pour financer l'oeuvre... à moins qu'une autre banque n'agisse plus rapidement et se sauve elle-même la face par rapport à la première banque.

Mais par ce projet artistique, ce n'est pas seulement la culture et le tourisme que les commerçants mécènes de Tamshui souhaitent promouvoir : l'identité de leur ville est en jeu ; cette mise en valeur des particularités du lieu s'inscrit dans le cadre de la recherche identitaire qui s'opère à Taiwan. Les discours prononcés lors de cette journée l'étaient d'ailleurs en taiwanais, et non pas en mandarin, langue officielle. La présidente de la Commission ministérielle à la Culture, Chen Yu-xiu, pourtant membre du gouvernement, s'est aussi exprimée à cette occasion en taiwanais, la langue à laquelle s'identifient complètement de nombreux Taiwanais de souche.

Dans la recherche actuelle d'une identité taiwanaise, très en vogue et reprise abondamment par le parti majoritaire démocrate progressiste, Tamshui peut faire figure de proue par l'exemple qu'elle nous donne. A l'approche des élections municipales de décembre, où vont être élus les maires de Taipei et Kaohsiung, ce discours ne peut tout de même pas être perçu comme complètement innocent. Mais cette flamme pour une identité tw n'est pas non plus près de s'éteindre une fois la période électorale passée. Il suffit d'entendre Monsieur Jean qui, de son magasin, lance un : Vive la République de Taiwan ! (en français dans le texte...).

 

Iris, novembre 2002