Les gages nécessaires par E. Raoul

"Les gages nécessaires" est un ouvrage écrit par E. Raoul, secrétaire général adjoint de la société française de commerce. Il est envoyé en Extrème-Orient dans les années 1884-1885 afin d’établir le potentiel de plusieurs régions et leur intérêt pour le commerce français. Les régions en question sont: le Yunnan, l’estuaire du Zhang Jiang, l’île de Hainan et Formose.

C’est la première partie de cet ouvrage qui est consacrée à l’étude de Formose. "Les gages nécessaire" est en fait une étude technique où plusieurs domaines sont abordés. L’auteur fait un inventaire de l’île, en y étudiant: le sol, les fleuves et rivières, la climatologie, météorologie et salubrité, les productions de l’île et le commerce, douanes et navigations.

Malgré son aspect technique, cet ouvrage n’est pas dénué d’intérêts. Certaines des informations que nous livre E. Raoul, peuvent en effet éclairer notre sujet. Tout d’abord par des précisions géographiques concernant  les charbonnages du nord de l’île, les villes de Danshui et Jilong, ainsi que l’état de salubrité ou d’insalubrité de Formose. Par ailleurs, l’auteur aborde quelque peu l’étude des Hakkas.


L’environnement de Formose
"Kélung est une grosse bourgade d’aspect sordide, bâtie dans une plaine basse où l’on étouffe en été. Elle est dominée par une chaîne de collines d’une centaine de mètres de hauteur.
La ville est entourée d’une muraille, les rues sont fort étroites. Les maisons sont construites comme on bâtissait autrefois en Hollande et dans la Basse-Bretagne, c’est à dire avec des étages supérieurs surplombants, dépassant l’alignement du rez-de-chaussée et arrivant presque à se toucher dans certaines rues; ce mode de construction ajoute un obstacle de plus au renouvellement de l’air et achève de rendre Kélung absolument inhabitable. Malgré ces conditions déplorables et sa réputation bien établie d’insalubrité, la proximité des mines  y a attiré une population d’environ 4 000 habitants."

"Le port [de Jilong] est d’un accès facile et abrité de tous les vents, sauf de ceux du nord, qui y soulève une grosse mer ."

"Tamsui, est situé sur la rivière dite de Tamsui. […] C’est une ville très importante au point de vue commercial, car elle constitue le port d’embarquement des produits. La population est estimée à 66 000 habitants. Le port se trouve entre une chaîne de montagne de 853 mètres d’altitude et une double montagne ayant des pics de 514 et de 376 mètres de haut. […] La côte qui s’étend des deux côtés de la rivière est bordée d’une ceinture de récifs de coraux.
Ce port est formé par l’embouchure de la rivière de Tamsui, qui est elle-même constituée par la réunion des rivières de Kélung, de Tokohan et de Sintian, cours d’eau relativement importants.
Les bâtiments y sont à l’abri du mauvais temps, mais le fond étant de sable mou, la tenue y est aussi mauvaise que possible."

Notre auteur a également analysé les mines du nord de l’île de Formose. Ces mines ont succités un temps l’intérêt du gouvernement français ( pendant la guerre franco-chinoise). Voici un bref extrait, qui permet de mieux les situer.

"Elles sont situées à quatre kilomètres environ dans le sud-est de Kélung, dans une baie ouverte, et sont creusées horizontalement dans la montagne. […]
L’extraction est très facile, la seule difficulté provient de la rapidité avec laquelle l’eau envahit les puits à une certaine profondeur. […]
Toutes les mines n’appartiennent pas comme on l’a cru, au gouvernement, et un grand nombre de puits sont exploités par des négociants chinois pour l’approvisionnement des fabriques de sucre de Formose."

Les Hakkas de Formose
Les Hakkas viennent du nord de la Chine continentale, d’où ils ont été chassés après les violentes persécutions.  Ainsi en exode, ils viennent peupler le sud et le sud-est de la Chine  et en particulier les provinces du Guangdong et du Fujian; A partir de là, ils sont venus s’établir sur les îles de Hainan et Formose. Bien que la communauté Hakka existe en Chine et cohabite depuis très longtemps avec les chinois dits "Han", ces derniers ne considèrent les Hakkas que comme une population étrangère, une minorité ethnique.
L’auteur fait parfaitement la distinction entre les chinois "Han"  et la communauté Hakka. Il nous soumet ici un descriptif de ces derniers.

"Les Hakkas constituent une des races les plus curieuses du monde, ils y joignent le cosmopolitisme du juif, la patiente ténacité et l’instinct d’émigration de l’Auvergnat. […] Ils sont braves, et[…] il y a entre eux et les Chinois une haine séculaire."

"je dois, à la vérité, d’ajouter qu’à Formose ils n’ont pas toutes les qualités qu’on leur reconnait ailleurs, et que par le fait de leurs relations commerciales avec les Chinois proprement dits établis auprès d’eux, ils ont pris pas mal leurs défauts.
Les Hakkas de Formose, quoique ne s’éloignant pas pas sensiblement du type de leurs compatriotes de l’Empire du Milieu, s’en distinguent cependant assez pour que les Pépohoans  ne les confondent nullement avec eux."

"Il est indispensable pour la France d’acheter à Formose l’amitié de cette population dont les dominantes sont la haine du chinois, proprement dit, et, il faut le reconnaître, une certaine bravoure."

 

 

Salubrité et opium
"Formose est une île d’une fertilité, d’une richesse et d’une beauté exceptionnelles."

"Mais toute médaille à on revers; Si la fertilité et la richesse sont l’apanage de l’île toute entière, il est bien loin d’en être de même de la salubrité qui fait absolument défaut dans les ports du nord de Formose. Dans cette partie si humide de l’île, les Européens, sans être épargnés par les autres maladies, paient particulièrement un cruel tribut à la fièvre dite des bois, par laquelle ils sont décimés dès que, pour une cause ou une autre, on vient à remuer le sol vierge."

"Les ports du nord de Formose jouissent à cet égard [à propos de la salubrité] d’une réputation déplorable, tandis que dans les ports de la partie méridionale, la santé de la colonie européenne est très satisfaisante."

E. Raoul a aussi constaté une maladie qui semble sévir dans le sud-est asiatique, et particulièrement au Vietnam et à Formose. Par ailleurs, cette maladie est alors parfois souvent confondue, par les médecins de l’époque, avec le typhus, tant les symptômes en sont semblables.

"J’ai remarqué néanmoins qu’à Formose, comme dans les hauteurs du nord du Tonkin, toutes les fois que l’on opère des défrichements, ou que pour une cause ou une autre, on remue des terres vierges, on voit se produire immédiatement chez les hommes employés à ces travaux des cas forts graves d’une fièvre dite <<fièvre des bois>>.
La maladie débute par des vertiges, des douleurs articulaires et de la fièvre. Puis survient le cortège des accidents typiques: prostration, délire nocturne, somnolence, coma et mort."

Puis dans un second temps, l’auteur nous donne son avis sur les importations d’opium à Formose.
Ce qui peut étonner c’est de voir à quel point l’opium est en cette fin de XIXème siècle considéré comme un simple produit que l’on vend et que l’on achète. Il faut dire qu’alors, la vente de cette drogue est une source de revenus non négligeables en Chine et dans les colonies.
Ce que l’on peut remarquer par ailleurs, c’est que l’auteur fait référence à la rivalité entre la France et l’Angleterre. Il en fait mention en ce qui concerne l’opium, mais il en est en réalité de même à tous les niveaux.

"Comme dans tout bon pays chinois, c’est l’opium qui tient la première place dans le chiffre des importations. C’est encore-là un produit dont nous pourrions ne pas laisser le monopole aux Anglais. Le pavot à opium vient admirablement dans le haut Tonkin. Sa qualité est inférieure, il est vrai, à celle des Bénarès et des Pakna; mais si l’on veut bien considérer que la clientèle chinoise se désintéresse de plus en plus des opiums de première qualité, et que nous avons pour nous la proximité des débouchés, on verra qu’il y a intérêt pour l’administration française à ne plus rester tributaire du gouvernement indien, auquel elle achète les opiums dont elle a besoin pour la régie de l’Indo-Chine."