Promenades
en Extrême-Orient (1895-1896)
par le Commandant de Pimodan
"Promenades en Extrême-Orient"
est un ouvrage composé par le commandant de Pimodan, qui,
à la fin du XIXème siècle, appartient à
la légation de la République Française au
Japon. Un poste d’attaché militaire lui est attribué.
La partie concernant Taïwan se trouve en tête du troisième chapitre, portant sur Formose, les îles Pescadores et le Tonkin. Le commandant séjourne sur l’île de Formose du 22 octobre 1896 au 9 novembre de la même année. Il faut rappeller qu’en 1895, la Chine vaincue cède Taïwan au Japon. Or, en octobre 1896 une insurrection vient agiter l’île et l’insécurité y est complète. Le général japonais Kawakami, sous-chef d’Etat major général a pour tâche de visiter Formose et les îles Pescadores, puis l’Indochine et la Birmanie. Après avoir étudié les difficultés récentes rencontrées par les Japonais, il doit voir ce que les Européens ont fait dans leurs propres colonies en présence de difficultés analogues. Le commandant de Pimondan est alors du voyage. Ces hommes traversent l’île de Taïwan du nord au sud dans presque toute sa longueur, sur le littoral ocidental (régions "pacifiées" de l’île). |
L’environnement
"Dans les vallées [entre Jilong et Taibei], on cultive le riz et, sur les premières pentes le thé. Le paysage serait insignifiant si une fougère énorme, un cana fleuri, un oiseau au plumage imprévu n’apparaissaient ça et là." "Après avoir suivi quelques temps la mer, notre caravane traverse un désert sabloneux sur lequel s’égarent des plantes rampantes, sortes de volubiles […]. La contrée est laide et pauvre. Des saules sur les hauteurs, des bambous autour des rares maisons, des pandances dans les sables voisins de la mer, forment les principales végétations." L’auteur, poursuivant son itinéraire, se dirige vers le sud. Plus il descend, plus il semble apprécier le paysage qui l’entoure. "Le paysage, toujours découvert semble moins triste qu’hier; certains coins paraissent même jolis" "Nous traversons maintenant des plaines fertiles. […] Les herbes envahissent déjà la chaussée à droite et à gauche de la sente étroite suivie par les porteurs, car nulle voiture n’y passe, sauf peut-être de rares charettes formosanes traînées par des buffles et roulant sur de larges disques de bois plein." "Le paysage devient
très beau. Nous suivons d’abord une route ombragée
et fraîche, bordée de hauts bambous dont les tiges
serrées bruissent au moindre vent. De ci, de là paraissent
des plantations de palmiers-aréquiers et d’orangers. Plus
loin, nous longeons une rivière dont les eaux chargées
d’un limon gris-perle roulant avec une extrême rapidité;
enfin nous traversons une plaine de terres , noires comme celles
de la Limagne et admirablement cultivées." Lors de son séjour à Formose, le commandant de Pimondan traverse plusieurs villes. Ce qui est frappant dans le récit qu’il en fait, c’est de constater la coexistence de plusieurs cultures, chinoise, occidentale et japonaise (depuis la récente occupation de 1895). Il constate une sorte de métissage des cités formosanes. A Jilong, il en retient ceci: "Sur un promontoire, au centre de la rade, se voient encore les restes d’un fort espagnol ou hollandais, tandis que d’anciennes batteries chinoises couronnent les hauteurs et qu’un cimetière français rappelle notre expédition." "Taïpeh se nomme Taïoku depuis la conquête japonaise. Toutes les villes formosanes ont un nom chinois et un nom japonais figurés par les mêmes <<carctères>>, mais se prononçant souvent de façon absolument différente ; en outre, certaines conservent de vieux vacables espagnols ou hollandais." Quoi qu’il en soit, c’est Tainan qui enthousiasme le plus l’auteur: "Tainan est certainement la plus commerçante et la plus propre des villes de Formose. Les hommes y sont moins désespérément loqueteux qu’ailleurs; les femmes ont l’air presque coquet avec leurs coiffures qu’agrémente, même chez les vieilles, un cache-peigne de fleurs artificielles. Des temples assez beaux mais mal entretenus, une chambre de commerce bâtie récement et ornée de jolies faïences décoratives, un gracieux portique rappellant le souvenir d’une veuve fidèle, peuvent interresser un moment le touriste novice aux choses chinoises." |
Les Chinois, les
Aborigènes et les Occidentaux: "Nos porteurs et porteuses
(car les femmes font également ce métier) sont venus
en retard, puis se sont disputés, battus même pour
prendre les caisses les moins lourdes ou les chaises des voyageurs
les plus légers […]. Quelques coups de canne ont seuls pu
rétablir l’ordre. Par ailleurs, l’auteur nous rapporte ce qu’il sait des "rebelles" chinois, ceux-là même qui causent de nombreux troubles dans la jeune colonie japonaise. "Contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, les véritables adversaires des japonais ne sont pas les sauvages du centre de Formose, mais d’anciens soldats chinois ayant une vague instruction militaire et disposant d’armes qui varient depuis les piques primitives jusqau’au Mauser à répétition. Ces hommes forment des bandes organisées et peuvent compter sur l’appui plus ou moins effectif de presque tous leurs compatriotes. De temps à autres ils occupent un village, rayonnant à l’entour en razziant les Japonais et poussent leurs incursions jusque dans les villes avec une étonnante audace. Dès que le gouvernement envoit des forces contre eux, ils se dispersent; les uns regagnent d’impénétrables forêts, les autres cachent leurs armes pour reprendre, qui la bêche, qui la charrue; puis peu à peu, la bande se reforme sur un autre point et recommence de plus belle ses brigandages jusqu’à une nouvelle éclipse. Guerroyant pour leur compte, les rebelles combattent tout autrement que les soldats réguliers chinois." En ce qui concerne les Aborigènes, le commandant de Pimondan les désigne sous le nom de "sauvages". Il ne faut pas voir là un terme spécialement péjoratif. Au XIXème siècle c’est le terme usité pour désigner tout groupe vivant de façon plus ou moins "archaïque", en marge des grands groupes dits "civilisés". Ainsi pour l’auteur ces Aborigènes sont de pauvres gens écervelés, qui ont une aversion pour les Chinois et les Japonais. "Quand aux sauvages,
dont le nombre ne parait pas excéder deux cent cinquante
à trois cent milles, ils n’aiment pas plus les Japonais qu’ils
n’aimaient les Chinois; mais leur aversion se manifeste surtout
par des assassinats et des rapines isolées. Mais le seul qu’il ait réellement approché est un chef indigène, au cours d’un entretien avec le général japonais pour quelque affaire: "Au début les
choses ont bien marché, le sauvage dévorait des gâteaux
et paraissait conquis; mais le général lui ayant donné
du saké , il fit d’abord la grimace, puis l’ivresse venant,
déclara ses préférences pour l’eau de vie européenne
en termes peu obligeants pour les Japonais. Enfin aux dires de l’auteur, il semble qu’une petite communauté d’occidentaux vit à Formose en cette fin de XIXème siècle. Celle-ci, pour l’essenciel est constituée de marchands et de missionnaires: "Les négociants européens […] possèdent sur le quai quelques belles maisons particulières et un petit club confortable. Un allemand […] exporte le camphre […] et quelques autres agents de maisons anglaises et américaines exportent le thé." "Les missionnaires catholiques espagnols ont un petit couvent à Taipeh. Dépourvus de ressources, et vivant à la chinoise comme leurs ouailles, ces bons pères sont les meilleurs gens du monde, très saints et très indulgents." |
Epidémies,
opium "Les formosans la nomment
[ la peste] la maladie où périssent les rats
et prétendent qu’elle s’annonce toujours par une mortalité
énorme chez ces animaux dont les cadavres contaminent les
hommes. "Les Chinois malheureusement pour eux et pour la science, refusent de se laisser soigner, cachent leurs malades, même leurs morts, s’opposent aux désinfections, et font tout ce qu’il faut pour favoriser le developpement de l’épidémie." "Parmi les marécages jaillissent ça et là des sources pures comme le cristal, mais fort malsaines, parait-il. Nulle part, je crois, la malaria ne fait plus de ravages. Tous les gens rencontrés, avec leur teint hâve, leurs yeux brillants, leur apparence cachétique, rappellent certains types de fièvreux déjà vus à Ravenne ou dans les Marais Pontins. Parmi les soldats [japonais] arrivés ici en avril, c’est à peine si quelques uns n’ont pas la fièvre." Enfin, l’auteur nous fait la description d’un fumeur d’opium. De Pimodan, au cours de la visite d’un musée industriel, présentant les produits du pays, assiste à la fabrication d’opium. La drogue est alors interdite à la consommation. Pourtant, celle-ci est autorisée si l’on fait preuve d’un certificat médical établissant que la privation d’opium est nuisible. "Sous nos yeux, on fabrique
la précieuse drogue; et un chinois, dégustateur patenté,
essaye devant nous plusieurs qualités. |